« Aucune définition extérieure ne se propose pour dire ce qu’ils sont en train de vivre. Aucune solution pour éviter la souffrance. »

Marguerite Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs

Ignorance rimant donc avec souffrance (et non avec liberté). Tragique, pour ne pas dire dolorisme, propre à Duras, que l’on retrouve à chacune de ses pages baignées de crépuscule. Tragique est trop fort, pourtant ; poignant, mais juste en-deçà de la tragédie car sans motif nettement compréhensible d’emblée – faute de définition. Pourtant, l’homme de ce couple inédit est abondamment décrit, défini par la formule  « C’est un homme qui… », inlassablement répétée : « C’est un homme qui ne croit à plus rien de ce qu’on dit. » ;  « C’est un homme qui écoute tout ce qu’on raconte avec une passion égale. »  ; « C’est un homme qui ne s’aperçoit pas de qui parle de lui ou de l’autre, de qui répond aux questions d’où qu’elles viennent, de lui tout aussi bien. ».  Mais ces définitions ne font que souligner une absence de traits saillants, un creux, non un plein, qui culmine lorsque son identité socioprofessionnelle est donnée : « Il est quelqu’un qui ne fait rien et dont l’état de ne rien faire occupe la totalité du temps. Peut-être le sait-elle, elle, qu’il ne travaille pas. »

(Écho pascalien : un roi sans divertissement…?)

Ne subsiste qu’eux deux, leur histoire, leur roman lu, qui est également pièce de théâtre, dont ils sont les héros, mais pas les acteurs : définition, identité ne cessent d’être déjouées, il n’est ici aucun rôle sur lequel se reposer. 

Et la littérature comme divertissement qui s’efforce d’être lucide – d’où la souffrance, par impossibilité ? Quand on ne se prend plus au jeu (Balzac, dictionnaire jubilatoire, Beckett même, innommable d’humour noir) mais au « déjeu » ?

 

 

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