Le rideau est presque tombé. Avant le générique (un billet récapitulatif qui servira de sommaire et mettra à disposition les textes complets de La Ville et lui et de l’entretien, aux formats ePub et PDF, ainsi que la playlist des lectures et entretiens), je ne résiste pas à l’envie de jeter un dernier coup d’œil au personnage convié sur cette petite scène. Qui est-il, finalement, ce malheureux auteur qui a si obligeamment accepté de s’offrir à nos regards indiscrets, à mon importune curiosité ? Ses traits se sont-ils précisés ?

*

Avant la rencontre, trois traits à peine : la nuit, une syllabe et une errance.

Il n’était au tout début que quelques signes sur l’écran, griffant la nuit, parmi d’autres signes relayés comme autant de mots de passe échangé entre initiés, secret volatil protégé par la botte de foin où le dissimule l’infini bavardage des réseaux sociaux et leur déversement continu. Sans contour, une première impression vive vivement ravalée par la nuit, le surgissement d’un pinceau lumineux qui persiste et se noie dans l’estompe de mots obscurs – si obscur désigne ce que l’on cerne sans jamais percer. Nullement une silhouette, pas même un nom, fût-il pseudonyme. Tout juste un « An- » flottait-il quelque part, presque féminin, avec « h » mal placé (un travers de germaniste, ahn, non pas l’« aïeul » oublié, mais le « pressenti »).

Plus tard, un feu d’artifice dans la nuit du Têt (évidemment), lancé par l’oiseau bleu, qui m’avait étrangement touchée.

Entre-temps, ce qu’il n’était pas : munie d’une attribution bien incertaine, j’avais cherché un moment, errant de noms en sites, sans retomber sur la bonne couleur, sans retrouver la tonalité si particulière de cette voix dans le noir.

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Une esquisse ensuite.

Dans ces rencontres sans personne, ces rencontres avec le texte, après la fulgurance de l’enthousiasme, vient le besoin d’éprouver un peu l’écriture – la mienne un peu, qui se fraie un laborieux chemin dans les mots des autres ; celle de l’auteur élu surtout. Il faut qu’elle résiste un peu. Que s’y attarder révèle pour autre chose qu’il n’y paraît ce qui semblait offert au premier regard ; que ce soupçon d’autre chose, immédiatement, intimement reconnu, ne nous livre pas trop vite crime ni suspect, mais donne à l’enquête du fil à retordre, jusqu’à épuisement des indices, jusqu’à rendre même impossible toute condamnation – tout certitude. L’auteur ne doit pas pouvoir être reconnu coupable. Il serait même plutôt victime, puisque c’est moi qui entre par effraction dans son texte.

Je prétends que la silhouette du corps ne dessine jamais que par trompe-l’œil celle de l’auteur. Ça nous laisse les coudées franches, et ça économise les politesses.

Mais Anh Mat s’est attardé. Sans le savoir, ou sans y croire, je venais de le rencontrer.

*

Et puis la résidence. Les échanges. Trouver comment fixer quelque chose, montrer, entre pudeur et objectivité. Et la parole dont on craint à chaque instant qu’elle se prenne les pieds dans le tapis, exigeant un curieux effort. Pleine de bonne volonté de la question à la réponse, solidement ancrée dans une complicité de lecture, mais inexplicablement démunie. Comme un retour forcé à la case départ.

Puisque la rencontre avait déjà eut lieu.
Puisque la rencontre muette, invisible entre le lecteur et l’auteur est terriblement intime.

La communication entre « l’interviewer » et « l’interviewé » en prendrait presque des allures de douche froide…
Je n’aime guère l’état civil ni les modes d’emploi.

*

J’aime La Ville et lui, que je suis fière d’accueillir. J’aime les touches qui une à une complètent et rectifient le corps d’écriture que j’avais imaginé. J’aime le mouvement qui les animent et recrée autour d’elles un espace où circuler. J’aime les voix parcourues d’écoute, leurs faux-départs, leurs élans, tendues vers l’autre, où les pensées ricochent et se mêlent. J’aime ne pas savoir ce qu’Anh Mat écrira demain. Je commence même à comprendre le silence.

J’aime que l’image ne soit pas devenue plus nette, reste silhouette.
Mais qu’elle se soit animée.

*

J’aime ce qui a été confié à l’amitié et n’apparaît pas toujours ici.

J’espère que cette amitié transparaît tout de même assez pour que vous la fassiez un peu vôtre.

2 thoughts on “Silhouette d’Anh Mat – portrait subjectif”

  1. « J’espère que cette amitié transparaît tout de même assez pour que vous la fassiez un peu vôtre. »
    Cela fait un long temps depuis que je suis le travail d’Anh Mat. Tour à tour énigmatique,intrigant, déroutant parfois mais c’est toujours avec grand plaisir que je passe chez lui lire, voir ou écouter parfois. Il est mon ami de là-bas. J’entends la pluie bruire sur la foule affairée, je sens le poids de la nuit, épaisse sur la ville. Anh Mat est à et loin à la fois. La magie de nos médias électroniques.

  2. Oui, il sait manier cette magie. Ses nuit échouées ont l’étrange don de nous placer à ses côtés, si lointain soit le Vietnam, et même lorsqu’il s’efface derrière un prête-nom.
    Merci de l’avoir suivi jusqu’ici 😉

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