Quand les cauchemars au garde-à-vous
Se font passer pour le repos et « Circulez, rien à voir »
La belle n’est pas si belle, perdue au fond des bois.
Chausse-trappes sur le chemin de ses rêves,
Le ver est dans le fruit, le pou rogne la promesse,
Des ombres rampent et dressent des fantômes
Au-devant du prince charmant au regard plus perçant
Que la quenouille et son venin qui rôde et plane encore
En mauvais songe, en hantises, en sabbat,
Où l’infâme accoutre le pur,
Où l’ignoble salit l’amant.

La belle n’est pas charmante.
Il faut plus d’un baiser pour la tirer du songe contrefait,
Plus d’une épée pour soumettre la ronce,
Bien du sang pour laver le sang.

*

Il faut plus d’un baiser, et pourtant suffit d’un seul,
qui longtemps après encore anime la dormeuse
qui se débat encore et encore tangue du rêve au cauchemar.

Il faut plus d’un baiser, et pourtant suffit d’un seul,
qui longtemps après toujours guide la rêveuse
l’attire, l’entraîne au murmure des autres voix,
qui bruissent, croissent et chantent au fond des bois,
sans garde-à-vous ni « circulez », tout est à voir,

– Ou alors par échos tissés, en pieds-de-nez,
en éclats et coup de boutoirs, grands coups d’épées,
qui lui taillent dans les buissons des mauvais songes
mal chassés, un chemin de clarté où tremblante s’avancer,
     jusqu’au premier baiser
où se dissipent les fumées des châteaux mal enchantés
    jusqu’à la première larme
où se reflètent les amours des amants sacrifiés
    jusqu’à la dernière larme,
où dansera mon amour éternel,
   jusqu’au dernier baiser,
où chantera notre union infinie.


Arthur Rackham, Sleeping Beauty, 1920.