Tu trébuches, petite, tu trébuches et tu te relèves, le minois plein de terre qui coule en rigole le long de ton nez, sèche et rêche, ça te dessine un instant comme un profil de statue, un peu trop net, abrupt, sous ton regard qui brille, puis tu cours et ça s’envole, tu cours et tu grandis.
Tu grandis et tu ne cours plus, tu ne cours plus mais parfois tu danses, tu grandis et tu danses, et quand tu trébuches, cette fois, tu te redresses bien vite, mais la plaie saigne et trace un drôle de ruisselet en travers de ta face, ses méandres sournois éborgnent ton sourire, ébrèchent ton regard, et ton cœur se fige.
Ton cœur se fige, ton regard tremble et tu rends un sourire de travers au gentil gars au regard de nuée bleue qui te tend son bras pour un pas de deux et t’entraîne dans une valse à ravir, à frémir, à rougir, minette, de plaisir qui chasse tes taches, qui matent tes plaies, mais te voilà trébuchante cette fois, cogne cogne, de bleus gras et gris qui freinent danses et courses, tant pis pour le gars tendre qui à tes os, canes, trébuche, s’écorche, bonne mère, relève-le, tant pis pour le gars tendre, qu’il essaie une autre valse, tant pis pour le gars tendre qui aura eu le sang et larmes, mais un cri de joie aussi par-dessus, un cri à dévorer aimer le monde…
Mais toi, tu trébuches, trébuches encore, gueule pleine de terre, te relèves petit soldat puis trébuche encore, pas mal accompagnée, pas seule, mais seule aussi, solitaire, la terre grimpe grimpe, tu crains qu’elle ne te prenne d’assaut, mais non, tu trébuches et t’habitues à trébucher te redresser, minette, tu trébuches et la terre qui salit ton minois peu à peu le sculpte, tu trébuches sans chavirer et peu à peu apprends à danser, valseuse, de bras en bras qui t’accueillent, tournoyante, et si tu trébuches encore, aimée, c’est que la vie te courtise et que le passé te pare.
Si tu trébuches, c’est la vague qui déferle et dérange le sable, l’eau en coup de fouet qui attendrit la pierre, minérale amante de l’eau, et laisse en son sillage passé poli ou aiguisé, en souvenir, en monument, friable… Si tu trébuches, chérie, tu tournes et tournes, tu pirouettes, si tu trébuches, c’est l’émotion qui s’épanche et mêle terre lourde et eau vive, hier se marie à demain en trébuchant, malléable…

Camille Claudel, Jeune Fille à la gerbe, 1886.

J’aime cette course de la plume sur la page, cette rivière de mots, joyeusement …
j’ai couru avec eux et l’ivresse est venue
en même temps que la poussée d’une gigantesque vague, écho des chutes passées … le nez dans la terre.
(https://motslies.files.wordpress.com/2022/10/20221018_160327.jpg)
Lu, de vous et ailleurs, tout aussi adorable, cet autre trébuchement:
« Finalement, mon portrait pourrait tenir en trois mois : je suis lectrice. »
Merci, doublement :).
Que ça fait long ! J’ai corrigé ;).